Un dialogue entre les générations pour les 40 ans du LAAC de Dunkerque
Le LAAC, musée d’art moderne de Dunkerque, fête ses 40 ans. À cette occasion, treize artistes contemporains ont été invités à entrer en dialogue avec les œuvres de la collection permanente du musée. Il en résulte des combinaisons surprenantes et éclairantes.
Dans le port de Dunkerque se dresse un bâtiment blanc moderne entouré d’un vaste jardin de sculptures. C’est la résidence du LAAC (Lieu d’Art et Action Contemporaine). Ce musée d’art moderne célèbre son 40e anniversaire en organisant une exposition particulière: une vaste sélection de sa propre collection y est présentée en combinaison avec les œuvres de 13 artistes contemporains.
Le LAAC, Lieu d'art et action contemporaine© Cathy Christiaen / Ville de Dunkerque
L’histoire du LAAC est indissociable de celle de son fondateur Gilbert Delaine (1934-2013). Créateur, en 1974, de l’Association pour l’art contemporain, cet ingénieur était convaincu qu’une ville portuaire comme Dunkerque, dotée d’une industrie florissante, devait également s’intéresser aux arts contemporains. La loi Malraux de 1961, favorisant le mécénat privé, l’a invité à mener, avec l’Association pour l’art contemporain, une politique d’acquisition très active. De plus, Delaine a réussi à convaincre de nombreux et éminents artistes de faire don d’œuvres à l’association. Ainsi, pour chaque œuvre achetée par l’Association, les artistes s’engageaient à faire don d’une autre de valeur équivalente.
Grâce à cette générosité d’artistes et de mécènes, et grâce à la force persuasive de Gilbert Delaine, l’Association a pu acquérir près de mille œuvres. Parmi elles, plusieurs œuvres d’artistes de renommée internationale tels qu’Andy Warhol, Arman, César, Niki de Saint Phalle, Victor Vasarely… Quant aux artistes clés de la région, ils sont largement représentés: Eugène Leroy, Arthur Van Hecke, Eugène Dodeigne…
La collection contient en outre un grand nombre d’œuvres d’artistes du mouvement Cobra. Nombreuses sont notamment les œuvres de Karel Appel, y compris le «Appel Circus». Enfin, les artistes belges Pierre Alechinsky et Christian Dotremont sont également bien présents au LAAC. Une passerelle portant le nom de Dotremont a d’ailleurs été inaugurée dans le jardin de sculptures du musée, le 10 décembre 2022.
La collection du LAAC contient un grand nombre d'œuvres d'artistes du mouvement Cobra
Gilbert Delaine a non seulement réussi à convaincre de nombreux artistes de faire don de leurs œuvres, il a également persuadé le conseil municipal de Dunkerque de construire une maison pour héberger la collection. À l’époque, la conception de ce bâtiment a été confiée à l’architecte tourquennois Jean Willerval, l’un des maîtres d’œuvre des Halles de Paris. Le bâtiment d’un blanc éclatant a été achevé en 1982. Toutefois, dès 1986, de graves défauts structurels y ont été diagnostiqués. Une rénovation complète s’est alors imposée de toute urgence. Le musée rénové a rouvert ses portes en juin 2005, enrichi entretemps de plus de sept cents œuvres acquises par la ville.
Le LAAC offre un aperçu représentatif de ce qu’était la production artistique entre 1950 et 1980
Le jardin de sculptures, conçu par l’architecte paysagiste Gilbert Samel, en collaboration avec le sculpteur Pierre Zvenigorodsky, a été achevé en 1979. Ces quatre hectares d’espace vert abritent une vingtaine de sculptures monumentales. Parmi elles, les promeneurs peuvent voir une réplique agrandie du Fallen Astronaut de l’artiste anversois Paul Van Hoeydonck, l’unique œuvre d’art à se trouver sur la lune.
Karel Appel, Appel Circus, 1978, LAAC Dunkerque© Karel Appel Foundation, ADAGP, Paris 2022, photo Michel Nguyen
La collection du LAAC offre ainsi un aperçu représentatif de ce qu’était la production artistique entre 1950 et 1980. Y sont représentés presque tous les mouvements d’après-guerre, et notamment l’art abstrait non géométrique. Les visiteurs peuvent admirer des peintures, des sculptures, des assemblages, des dessins et des gravures.
Une confrontation haute en couleur
La question, bien sûr, est de savoir dans quelle mesure cette collection est pertinente aujourd’hui. Elle émane en grande partie d’un seul homme et nombre des artistes exposés aujourd’hui ne sont plus actifs. Or Gilbert Delaine rêvait d’un musée d’art vivant, présentant des artistes contemporains. C’est exactement cette question que se sont posée les commissaires de l’exposition Comme de longs échos qui de loin se confondent, organisée pour le 40e
anniversaire du musée.
La réponse leur a été inspirée par l’artiste américaine Maya Hayuk. Celle-ci a séjourné à Dunkerque en 2019 pour y réaliser une grande fresque pour le Kursaal. À cette occasion, son œuvre a été comparée à un tableau de Sonia Delaunay, présent dans la collection du musée. Hayuk était ravie de ce rapprochement. Pour l’exposition, elle a d’ailleurs créé une nouvelle fresque colorée inspirée de l’œuvre de Delaunay.
Fresque murale de Maya Hayuk avec, au centre, la toile Bord de l'eau - Finlande de Sonia Delaunay© Cathy Christiaen / Ville de Dunkerque
Les commissaires ont alors décidé d’inviter 13 artistes contemporains, dont plusieurs issus du nord de la France, à se confronter aux œuvres de la collection permanente. Leurs œuvres sont réparties sur six salles du musée. On y voit par exemple un autoportrait de Leroy à côté d’un portrait de l’artiste français Maxime Thieffine. Les sculptures géométriques de l’artiste portugais Diogo Pimentão côtoient des œuvres de Gilbert Decock.
À gauche, une sculpture géométrique de l'artiste portugais Diogo Pimentão; à droite, une oeuvre du Belge de Gilbert Decock.© Cathy Christiaen / Ville de Dunkerque
La jeune artiste française Charlotte Denamur a recouvert le sol d’une des salles de bâches colorées provenant de son atelier. Ces créations y dialoguent avec les œuvres de Noël Dolla.
Dans la septième salle, l’Association pour l’art contemporain a eu carte blanche et propose un choix parmi les premières œuvres d’art données à la ville en 1981. L’on peut y voir une belle ode à son fondateur, Gilbert Delaine. L’exposition coïncide par ailleurs avec la sortie de trois nouvelles publications.
Le photographe Pierre-Yves Brest s'est inspiré du travail de Jean Dewasne.© Cathy Christiaen / Ville de Dunkerque
La confrontation de nouvelles œuvres avec celles de la collection existante apporte de nouvelles perspectives et interprétations. Elle suscite des dialogues transgénérationnels et met en évidence les liens entre les œuvres d’artistes contemporains et celles d’artistes qui ne sont plus actifs depuis longtemps. Par exemple, les bâches bariolées de Charlotte Denamur associées aux peintures de Noël Dolla créent non seulement une installation captivante, mais permettent de comprendre les méthodes de travail des deux artistes. Le photographe Pierre-Yves Brest s’est inspiré du travail de Jean Dewasne et s’est servi de peintures, de photographies et de sculptures pour créer un ensemble abstrait.
Le titre de l’exposition, Comme de longs échos qui de loin se confondent (un vers de Charles Baudelaire tiré de son poème Correspondances), fait référence à ces connexions. Même les habitués du LAAC seront à coup sûr amenés à ajuster leur regard sur certaines œuvres qu’ils pensaient connaître depuis longtemps.
Quarante ans n’est pas un grand âge pour un musée. Pourtant, c’est tout ce qu’il a fallu au LAAC pour gagner sa place dans le monde des musées. La présente exposition lui permet en outre de montrer qu’il n’a nullement perdu son lien avec l’actualité artistique.
Comme de longs échos qui de loin se confondent a lieu au LAAC, Dunkerque, jusqu’au 7 mai 2023.
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